Une biche, à son deuil fidèle,
Pleurait ses deux faons bien-aimés,
Et trainait sa lourde mamelle,
Au fond des bois accoutumées.
Tout à coup s'offrent à sa vue
Deux petits loups : ils vont mourir ;
Mais de pitié la biche émue
Donne son lait pour les nourrir.
Hôte des bois, un vieux derviche,
D'un œil surpris, la contemplait:
« A qui vas-tu, ma pauvre biche,
Donner ton amour et ton lait!
Imprudente! tu crois peut-être
Trouver un loup reconnaissant ;
Mais cet animal n’est qu'un traitre:
Qui boit ton lait boira ton sang!
— Celte pensée est trop amère,
Dit la biche, et, sans voir si loin,
Je n’ai qu'un but, qu'un seul besoin :
Remplir le saint devoir de mère.
Pour mon bonheur, je dois nourrir ;
Jen crois l'instinct qui me l'atteste :
Mon lait serait un poids funeste
Si je n’avais et qui l'offrir. »
Ainsi, sans espoir de salaire,
L'infatigable Charité
Dispense a tous, avec bonté,
Les soins d'un amour tutélaire,
Et les cœurs purs et bienfaisants
Qu’elle a choisis pour ses apôtres,
Trouveraient leurs trésors pesants
S'ils n’y faisaient la part des autres.