Un lapin, se trouvant fort loin de son terrier,
Vit à cent pas de lui, s'avançant dans la plaine
Et courant presque a perdre haleine,
Un superbe chien lévrier.
Alors, comme l'on dit en langage vulgaire,
Notre lapin vous prit ses jambes â son cou
Et s'enfuit promptement, de peur à moitié fou ;
Quand il eut fait cent pas, il rencontre un confrère
Qui vous l'apostrophe en ces mots :
« Pourquoi cette rapide fuite,
Cet air piteux et ces grands sauts ? »
« C'est (lui dit le fuyard, je vois à ma poursuite
(Cela me gène un peu ) ce grand chien lévrier
Qui longe maintenant le bois de châtaignier. »
L'autre dit : « Allons donc, mais ce n'est qu'un caniche ;
Tu confondrais, je crois, le bœuf avec la biche ! »
Alors nos deux lapins soutiennent tour â tour
Leur avis ;et je crois qu'avec leur paliente
Ils auraient, il ce jeu, pu voir finir le jour;
Mais le chien fit faire silence
A ces deux pauvres imprudents ;
Il en prit un entre ses dents
Qui n'eut pas bien beau jeu, je pense !
Quo d'hommes comme ce lapin
Savent détourner l'œil du but de leur voyage !
Un rien les arrête en chemin,
Et par leur faute, ils font naufrage !