L'Escargot et la Cigale Claude-Joseph Dorat (1734 - 1780)

Vers l'ombre épaisse d'un buisson,
Un Escargot se traînait avec peine,
Portant avec lui sa maison.
Le gîte avoisine la plaine ;
Mais quand on est chargé, tout chemin paraît long.
Le voyageur s'en plaint, la chaleur est extrême.
Ses cornes de sortir, puis de se renfoncer ;
Il s'arrête au lieu d'avancer ;
L'aiguille d'un cadran marche à peu-près de même.
Pendant une pause, il entend
Auprès de lui chanter une Cigale :
Bon ! s'écria-t-il à l'instant,
D'une aubade l'on me régale !
Je suis bien en train de concerts ;
Mais combien j'envierais le sort de la chanteuse !
Que ses loisirs sont doux, que sa vie est heureuse !
C'est pour elle à coup sûr qu'est fait cet Univers :
Sous un lourd édifice elle n'est point courbée ;
En un clin d'œil elle saute à vingt pas :
Trop heureux Escargot, disait l'autre à son tour ;
De son destin encor plus mécontente,
Tu ne crains sous tes toits, sous ta maison rampante,
Ni la fraîcheur des nuits, ni la chaleur du jour.
Que près du tien mon sort est ridicule !
Tandis qu'en bon bourgeois tu vis dans ta cellule,
Je suis en butte aux bourrasques de l'air.
Je grille dans la canicule,
Et meurs de froid pendant l'hiver.

Notre condition en vaut souvent une autre ;
Le Ciel fit pour le mieux ; nous plaignons nous de lui ?
C'est lorsque dans l'état d'autrui
Nous ne voyons que ce qui manque au nôtre.

Livre III, fable 16




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