Le Cornichon et le Melon Louis Berlot-Chapuis (1823 - ?)

Sire de Petit- Vert, l'élégant cornichon,
Était loin d'être un godichon
Comme ses frères, d'humble race ;
Car la courge et la calebasse
Avec un parchemin l'avaient fait avocat,
Sacramentel certificat
Qui témoignait partout de sa grande éloquence...
Profitant de son influence
Sur la gent cantaloup, il prêche au gros melon
Le bonheur de l'indépendance.
« Si le ciel t'a donné la forme d'un ballon,
Tu dois, dit Petit- Vert, aspirer à la gloire
De briller dans la nue, et, si tu veux me croire,
Nous allons déguerpir. Sous ton étroit châssis
Toi, tu végètes sans profits,
Et tu sembles brouter la vie
Comme un lapin broute son chou.
Oh ! répond le melon, tu diras : « Il est fou,
Si jamais j'ai la sotte envie
De suivre imprudemment ton dangereux conseil.
Que me faut-il de plus ? le bienfaisant soleil
Me caresse les flancs sous mon abri de verre.
Là, quand je sommeille, à midi,
Couché douillettement, sa chaleur salutaire
Dore mon ventre rebondi. »
A ces mots, l'autre encor murmure :
« La paresse te claquemure
Sous ta cloche : ah ! vraiment, je t'ai cru moins poltron.
Rampe comme un vil potiron,
Satisfait de dormir, accroupi sur la terre.
Tu te berces d'une chimère,
Réplique le melon : toi - même, Petit-Vert,
Tu vas quitter à tort un horizon bien clair,
Pour un ciel incertain ? quel étrange caprice :
Tu le veux... bon voyage !... et que Dieu te bénisse ! >>>
Hélas ! au lieu d'un sort plus beau,
Ailleurs, le cornichon se lamente et grommelle
Au fond d'un grand bocal, empilé pêle-mêle
Avec l'amer piment : ce fut là son tombeau.
En le voyant confit, le melon balbutie :
« Pourquoi m'accusait- il d'apathique inertie,
De cerveau lilliputien ? »

Le mieux est l'ennemi du bien.

Livre I, fable 10




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