Un jour, me promenant le long d'une colline,
J'aperçus un ruisseau dont l'onde cristalline
Sur un lit de gravier courait en serpentant,
Plus loin, un peu plus bas, se trouvait un étang,
Un joli petit lac, dont l'eau dormante et verte
De fleurs de nénuphar était toute couverte.
Soudain, il me sembla que l'on causait tout bas.
Était-ce un rêve ? Oh non, je ne me trompais pas ;
C'était un bruit de voix, comme un léger murmure
Mêlant sa note aux doux concerts de la nature.
— Petit ruisseau, disait l'étang, où courez-vous
Si vite et si gaîment sur ce lit de cailloux ?
C'est pour vous réchauffer sans doute, et je suppose...
— Oh non, monsieur l'Étang, c'est pour une autre cause
Que je suis si pressé, répondait le ruisseau;
La rivière voisine a besoin de mon eau ;
Je cours la lui porter. Adieu !
— Quelle folie !
Vous prodiguer ainsi ! Mais, je vous en supplie,
Qu'allez-vous devenir, quand l'été reviendra ?
Vous serez épuisé, votre onde tarira !
A quoi bon du voisin vous mettre tant en peine ?
Gardez, gardez votre eau pour la saison prochaine;
Les mauvais jours viendront !
— Oui, je sais que bientôt
Après les mois d'hiver, le soleil sera chaud,
Et ne tardera pas à dessécher ma source;
Mais si je dois un jour être à sec, sans ressource,
Il m'est doux de pouvoir, sans songer à demain,
Aux dépens de moi-même enrichir mon prochain.
Mais adieu!... je m'en vais, car ce retard m'épuise;
Que dira la rivière ?
— Qh ! fais donc à ta guise I
Tu verras si j'ai tort quand l'été sera là !
Quand on est riche, il faut garder ce que l'on a.
Six mois plus tard, passant par la même prairie,
Je foulais sous mes pieds l'herbe à demi flétrie !
Tout était desséché par les rayons de feu
Dû soleil de Juillet brillant dans le ciel bleu.
Je revis le ruisseau; protégé par l'ombrage
D'arbres majestueux à l'opulent feuillage,
Toujours frais en dépit des ardeurs de l'été,
Il déroulait au loin son filet argenté;
Ses bords étaient ornés des fleurs les plus brillantes
Dessinant leurs contours dans ses eaux transparentes,
Tandis que mille oiseaux voltigeant dans les airs
Egayaient ce séjour de leurs joyeux concerts.
Plus loin, à quelques pas de ce ruisseau limpide,
Quelque chose d'informe, une eau grise et livide,
Croupissant tout au fond d'un bassin limoneux,
Dans un pli du feuillage apparut à mes yeux.
En m'approchant, je reconnus avec surprise,
Dans ce marais fangeux, dans cette eau trouble et grise,
Le petit lac fleuri qui, si fier de son eau,
S'était raillé jadis du modeste ruisseau...
Et je songeai tout bas à ce bonheur si triste
Que l'on goûte en menant une vie égoïste...
Non, plus pour le prochain nous nous dépenserons,
Plus du côté du ciel nous nous enrichirons;
Un printemps éternel sera notre partage,
Et nous achèverons notre pèlerinage,
Pareils à ce ruisseau qui garda tout l'été
Sa fraîcheur primitive et sa limpidité.
Fable 14