À Caen pays de sapience,
Vivaient Messieurs Dandins avocats, père et fils.
Le père consultait ; le fils à l’audience
Endormait quelquefois Thémis.
Qui l’eût cru d’une âme normande ?
Le père accommodait les anciens procès ;
Il sauvait aux plaideurs les dépens et l’amende ;
Le fils admirait ses succès :
Mais à ses gains encor il portait plus d’envie.
C’était de jour en jour nouveau remercîment ;
L’un lui devait les biens, l’autre devait la vie ;
La poule et le ducat au bout du compliment.
Le fils affriandé, sur les traces du père,
Se met en train de tout accommoder.
Ami de l’un, et de l’autre compère,
Il veut guérir, dit-il, les normands de plaider.
Déjà sur la moindre querelle,
Il assemble les contestants,
Leur prêche la paix fraternelle :
Déteste des procès la longueur éternelle :
Ennuis, chagrins, travaux, ruine au bout du tems.
Bien prêché, dit une partie ;
Mais Pierre est un fripon, monsieur.
Les fripons sont chez toi, reprend l’autre crieur.
De repartie en repartie
Chacun se quitte en s’outrageant ;
Laisse Dandin, court au sergent.

D’un démenti reçu notre juge novice
Veut décider. On lui conte le fait ;
Mais en présence de justice,
Le démenti tout frais est payé d’un soufflet.
Pour de si beaux succès, point d’honneur, point d’épice ;
Pas le moindre petit poulet.
Jeannot Dandin court à son père ;
Qu’est-ceci, lui dit-il ? Comment pouvez-vous faire ?
Arbitre des procès, vous accommodez tout.
Au diable le premier dont Jeannot vienne à bout.
J’en veux prévenir un, j’en fais renaître quatre
J’ai beau dire ; ils veulent plaider.
Eh ! Sot ; que n’attends-tu pour les accommoder
Que les gens soient las de se battre ?

Livre III, fable 17






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