Le Chasseur et les Éléphants Antoine Houdar de La Motte (1672 - 1731)

Parmi les animaux l’éléphant est un sage.
Il sait philosopher, penser profondément.
En doute-t-on ? Voici le témoignage
De son profond raisonnement.
Jadis certain marchand d’ivoire,
Pour amasser de ces os précieux
S’en allait avant la nuit noire
Se mettre à l’affut dans les lieux
Où les éléphants venaient boire.
Là, d’un arbre élevé notre chasseur lançait
Sans relâche flèche sur flèche :
Quelqu’une entre autres faisait brèche,
Et quelque éléphant trépassait.
Quand le jour éloignait la troupe éléphantine,
L’homme héritait des dents du mort.
C’est sur ce gain que roulait sa cuisine ;
Et chaque soir il tentait même sort.
Une fois donc qu’il attendait sa proie,
Grand nombre d’éléphants de loin se firent voir.
Cet objet fut d’abord sa joie ;
Bientôt ce fut son désespoir.
Avec une clameur tonnante
Tout ce peuple colosse accourut à l’archer,
Environne son arbre, où saisi d’épouvante
Il maudit mille fois ce qu’il venait chercher.

Le chef des élephants, d’un seul coup de sa trompe,
Met l’arbre et le chasseur à bas ;
Prend l’homme sur son dos, le mène en grande pompe
Sur une ample colline où l’ivoire est à tas.
Tien, lui dit-il, c’est notre cimetière ;
Voilà des dents pour toi, pour tes voisins :
Romps ta machine meurtrière,
Et va remplir tes magasins.
Tu ne cherchais qu’à nous détruire ;
Au lieu de te détruire aussi,
Nous t’ôtons seulement l’intérêt de nous nuire.
Le sage doit tâcher de se venger ainsi.

Livre V, fable 18






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