Un meunier dans une ratière
Ayant pris un puissant rat.
Çà, lui dit-il, voleur infâme, scélérat,
Je vais t’accommoder de la belle manière ;
Tu payeras chèrement la farine et le blé
Que tu m’as jusqu’ici volé.
Le pauvre rat priant qu’on le délivre :
Pardonnez-moi, dit-il, mon maître, mon voisin,
Si j’ai pris votre blé, ce n’était que pour vivre.
Je ne suis point marchand, ni n’en tiens magasin ;
Puis nous sommes tous deux de même confrérie.
On sait de quelle sorte on en use au moulin.
Cessez donc d’entrer en furie,
Pour quelques petits grains que ronge un larronneau
Tandis que de ferrer la mule
Vous ne faites point de scrupule,
Et d’en voler à plein boisseau.
Ce reproche trop véritable,
Vers le meunier le rendant plus coupable :
Je t’apprendrai, dit-il, par des mots outrageants
À choquer les honnêtes gens.
Soudain il conclut son supplice
Et fait venir le plus gros de ses chats,
Exécuteur de la haute justice
Contre les souris et les rats.
Le chat sans corde et sans potence,
L’étrangla suivant la sentence.
Ainsi l’officier de police
Condamne un malheureux pour un petit péché,
Tandis que d’un semblable vice,
Et parfois d’un plus grand, lui-même est entaché
Sans qu’il lui soit seulement reproché.
C’est donc avec grande justice
Que de tout temps le peuple a dit.
Qu’un grand voleur pend un petit.
Titre original : Du meunier et du rat